ARTISTES ET
THÉORICIENNES

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Colloque des écoles supérieures d'art :
"chercher SA recherche" et se retrouver ENTRE SOI !



"Pour une subjectivité plurielle et polyphonique " 1

Un mouvement pour la reconnaissance du statut supérieur des écoles d’art est né il y a 5 ans. Il a démarré dans toutes les écoles même si les écoles nationales avaient une coudée d’avance parce qu’ elles avaient pour interlocuteur direct leur ministère de tutelle, la culture, qui était aussi la première autorité à convaincre de l’intérêt supérieur de la création et de l’enseignement artistiques. A l’époque, Monsieur le Délégué, vous étiez Directeur adjoint de France-Culture et vous aviez bien voulu faire connaître à l’antenne les motifs de notre grève et expliquer la situation des écoles d’art en France. Au terme de deux années d’actions, le ministère de la culture a bien voulu reconnaître que l’enseignement artistique dont il était responsable pouvait rejoindre le «supérieur». Il a entrepris les procédures administratives et juridiques pour parvenir à la signature du décret du 27 décembre 2002 qui reconnaît aux Ecoles Nationales d’Art le statut d’enseignement supérieur. Parmi les missions attribuées à ces établissements supérieurs, et enregistrées par ce décret , on lit, à l’article 2 : « la conception et la mise en œuvre des recherches dans les différents champs artistiques » ainsi qu’à l’alinéa 3 : « la valorisation des recherches engagées par l’établissement ». Inutile d’aller chercher plus loin. La recherche est déjà là. Des projets peuvent être déposés individuellement ou dans le cadre de l’école. Ils seront étudiés et validés par des commissions prévues à cet effet.

Que cherche t-on dès lors ? non pas la recherche, on l’a. On aspire à une validation par l’université, ce qui n’est pas la même chose. Et l’on trouve un prétexte : le mastaire. La Mission de l’Inspection Permanente de l'Enseignement Artistique nous rappelle qu’ en octobre 2000 un accord a été signé par le Délégué aux Arts Plastiques et par la directrice de l’Enseignement supérieur, reconnaissant le positionnement du DNSEP au grade de mastaire. Les changements politiques ont interrompu le processus engagé. Et la légitimation de l’accord a été suspendue. Mais entre temps le ministère a obtenu pour les écoles nationales le statut du supérieur ainsi que des équivalences avec les diplômes universitaires. Qu’importe, il faut l’aval de l’université et il est plus important de devoir répondre aux critères des autres qu’aux nôtres, quitte à comparaître devant un tribunal qui jugera de l’aptitude des artistes et des théoriciens à être de bons chercheurs et de bons directeurs de recherches.
Ainsi répète-t-on la scène déjà jouée, mais involontairement quant à lui, par Brancusi en 1928. Soupçonné par les douaniers américains de fraude, Brancusi a dû apporter au tribunal les preuves que « l’ oiseau dans l’espace » était une œuvre d’art et non un prototype d’ustensile commercialisable. Ainsi les écoles d’art s’apprêtent à une démarche analogue pour prouver que la création artistique relève de la recherche.

Depuis plus d’un an, les négociations ont repris entre la Délégation aux Arts Plastiques et l’Education Nationale, dans le but d’obtenir pour le DNSEP la valeur de mastaire. Cette équivalence ne peut être accordée qu'à la condition que les écoles d’art soumettent leur mission de recherche au contrôle du Conseil National de l’ Enseignement Supérieur et de la Recherche qui rendra un avis, favorable ou défavorable. Voici comment se met-on la corde au cou, ou bien anticipe-t-on le déni de soi même. C’est peut-être le sens de cette expression énigmatique de « sa recherche » puisque la recherche, on l’a déjà.

« Recherche » est devenu le sésame de l’intronisation supérieure +. La MIPEA nous explique qu’il y a deux voies pour obtenir le label : le passage par l’harmonisation des enseignements artistiques avec les normes européennes, qui vaut inscription des écoles dans le réseau européen d’une part, et d’autre part la reconnaissance des écoles par le CNESER, l’autorité qui délivre le fameux certificat d’ authenticité scientifique.

Mais il y a une troisième voie : celle d’ « une subjectivité plurielle et polyphonique » c’est à dire le collectif qui a fait le mouvement pour le supérieur et qui n’est pas mort ; c’est à dire tous les enseignants artistes et théoriciens sur les travaux plastiques et réflexifs desquels se fonde la prétention des écoles à la recherche. Si la recherche est à venir, c’est qu’elle est déjà là, chez ceux qui seront les futurs tuteurs et directeurs des recherches entreprises par étudiants. Or ceux-là ne sont pas invités, leurs connaissances et leurs expériences ne sont pas sollicitées. Et ce n’est pourtant pas faute de dire : vous ne pouvez pas avancer sans nous, nous sommes les fondations ; on ne construit pas un édifice en commençant par le toit et surtout, sans se préoccuper si les fondations vous portent. C’est un drôle de modèle que vous offrez de la recherche. Un comité de pilotage a été institué - sans nous avoir consultés, et dont la composition a été critiquée par nous à posteriori. De ce comité est né un colloque dont la préparation nous est restée complètement inconnue, jusqu’à sa date ignorée de tous - sauf de ceux qui consultent tous les jours le site du ministère.

Cette façon de procéder, secrète, sélective nous paraît mal augurer un processus de recherche qui se ferme avant même de se formuler. Doute-t-on de la compétence des enseignants quant à définir les principes et les procédures de la recherche dans les écoles d’art? Qui doute ? Pourquoi certains devraient-ils penser pour les autres ? Doute-t-on de l’adhésion des enseignants aux démarches engagées par la MIPEA, tant du côté de l’harmonisation européenne que du côté de l’université ? Pourquoi refuse-t-on le débat ?
Nous sommes un certain nombre, femmes et hommes, à avoir demandé de participer à ce colloque sur la recherche qui nous implique, nous –enseignants artistes, théoriciens, techniciens, dans les écoles d’art. Notre contribution a été négligée, et notre présence aux tables rondes écartée, au motif que la salle était trop petite- alors que nous préconisions un accès public à cette manifestation, sur le modèle des assemblées démocratiques.
« Chaque fois que l’on fait taire, au nom de la science, des intérêts, des exigences, des questions qui pourraient mettre en cause la pertinence d’une proposition, nous avons affaire à un double court-circuitage : celui des exigences de la démocratie et celui de la mise en risque qui donne sa fiabilité au savoir » .2

La singularité du domaine des arts plastiques, et visuels, et sonores serait en cause, nous assure-t-on. Il sera difficile de faire reconnaître la spécificité de la recherche artistique. Ne serait-ce pas plutôt une chance ? Chance de l’altérité : des questions neuves vont pouvoir être formulées et le modèle consensuel de la recherche interrogé. La caractérisation du processus de création artistique comme recherche serait difficile à admettre ? Mais par qui ? Faisons une enquête auprès de divers publics dont nous aurons auparavant pris soin de décrire les caractéristiques. Si c’est l’université qui est la plus rétive à cette reconnaissance, allons voir dans les universités s’il n’y a pas des départements, en anthropologie, en littérature, en cinéma… qui souffrent de la rigidité du modèle doctoral. Les écoles d’architecture et du paysage ont fait leur la structure universitaire ? Interrogeons ceux qui participent à la création et à la réflexion sur le paysage et l’architecture aujourd’hui, sur ce qu’ils pensent du quota d’ « habilités à diriger des recherches » indispensable à la légitimité scientifique des écoles, tandis que la création occuperait le bas-côté ? Est-on bien sûr de la solidité du modèle universitaire pour vouloir s’y engouffrer alors que nous pourrions au contraire insuffler un esprit inventif, audacieux à ceux que bride la rhétorique de la thèse et de l’habilitation universitaire. A côté de ce modèle-là n’y a t-il pas de place pour un autre, des autres ? La diversité est-elle un danger ? L’Univers plutôt que le Divers ? Comment oser se réclamer ensuite de Victor Segalen, de Felix Guattari ou de Nelson Goodman ? Les écoles de commerce passent outre l’avis du CNESER. Le commerce oui, l’économie oui, mais pas les arts !! Sont-ce les arts qui sont en cause ou l’omnipotence d’un modèle de scientificité, attaquée par bien des leurs 3 . Le savoir expert a perdu de son autorité, depuis longtemps déjà ; ne cédons pas à la tentation de le recréditer.

Et si le déni opposé au travail artistique d’être une recherche, était un tort fait aux arts parce qu’ils sont indéfinissables, du genre de ceux qu’on ne tient pas dans les limites (fines) territoriales, donc incontrôlables. N’avons-nous pas entendu Jean-Luc Nancy, qui va clôturer le colloque, parler ainsi, ? L’in-définition, en quoi consisterait sa singularité par rapport aux autres disciplines, devra-t-elle être toujours stigmatisée par les défenseurs de « l’univers » qui devient gris, à force d’être uni. Il est indispensable à la pensée comme à la création qu’il n’existe pas un seul modèle. Sauvons la recherche. Construisons la Diversité

     Signature :   http://superieure.free.fr

 

1Felix Guattari , Chaosmose, ed.Galilée, p.12

2 Isabelle Stengers, Sciences et pouvoirs, ed. La Découverte, 2002 p.96

3 voir les ouvrages de : Isabelle Stengers, Bruno Latour, Pierre Lascoumes et Pierre Callon, Gérard Dupuy, Véronique. Nahoum Grapp, et antérieurement John Dewey, Gramsci